Les cartes d'Etat Major


Sources et méthodes


Cartes anciennes et systèmes d’information géographique (SIG)

L'utilisation des SIG permet la superposition, le croisement et la cartographie de données issues de sources et de dates différentes afin, notamment, de réaliser des analyses régressives du paysage et des cartographies de l'évolution des usages des sols. Mais l'intégration de documents anciens dans un SIG n'est pas toujours aisée ; la carte historique doit avoir été levée selon un référentiel géographique pour avoir une précision géométrique acceptable et ainsi pour pouvoir être géoréférencée et digitalisée. Le géoréférencement est l'étape la plus délicate car elle conditionne la superposition avec les couches plus récentes. Un des problèmes souvent rencontrés est l’identification de points de correspondance fiables sur l'ensemble de l'image. En effet, si l'environnement a beaucoup changé, cette recherche peut s'avérer périlleuse. De plus le positionnement des objets sur la carte ancienne est souvent imprécis ; la précision des clochers d'église est ainsi de 70 m environ sur la carte de Cassini et 40 m sur la carte d'Etat-Major (Dupouey et al., 2007).

Exemples de sources historiques exploitables dans un SIG

Les sources de données historiques sont nombreuses mais les cartes fiables et exploitables le sont beaucoup moins. A petite et moyenne échelle nous pouvons citer la carte de Cassini pour la fin du 18ème siècle et les minutes de la carte d'Etat-major pour le 19ème siècle. A grande échelle, les plans terriers (16ème-18ème siècles), les plans d'intendance (18ème siècle), les plans cadastraux pour le 19ème siècle et la photographie aérienne pour le 20ème siècle sont des sources intéressantes pour cartographier les usages anciens des sols.

La carte de Cassini, levée entre 1749 et 1790 au 1/86 400, est souvent considérée comme la carte de référence pour la seconde moitié du 18ème siècle à petite échelle car elle présente l'avantage d'être relevée de façon homogène sur l'ensemble du territoire français, hormis les régions ne faisant pas partie du territoire français à l'époque (Corse et une partie des départements de Savoie, Haute-Savoie et Alpes-Maritimes). Levée par triangulation, elle présente une relativement bonne précision géométrique. Par contre, elle présente quelques inconvénients, notamment l'assez faible précision de l'occupation du sol (lacune des petits bois, localisation non relevée précisément sur le terrain, dessin des contours imprécis...). Néanmoins, malgré ces inconvénients dont il faut tenir compte, utilisée à petite échelle (départementale, régionale) et sur les grands massifs, elle permet d'avoir une information assez fiable sur l'état du boisement au 18ème siècle (Vallauri et al., 2012). Grâce au travail de Vallauri et al. (2012), dans le cadre d'une collaboration entre l'INRA, la Fédération des Réserves naturelles catalanes et le WWF, nous disposons, sous forme de couches SIG, d'une cartographie nationale des forêts de Cassini qui pourra être utilisée dans diverses analyses, notamment les études concernant les usages anciens des sols.

Les minutes de la carte d'Etat-major, levées entre 1825 et 1866 au 1/40 000, sont les premières cartes précises au niveau géométrique et au niveau de la représentation (Dupouey et al., 2007). Cette plus grande précision s'accompagne également d'une plus grande palette d'occupations représentées. On retrouve par exemple la figuration des prairies, des cultures pérennes (vignes et vergers), des haies sans oublier l'étendue du bâti. Selon Dupouey et al. (2007), les minutes de la carte d'Etat-major au 1/40 000 présentent les meilleures caractéristiques pour la réalisation d'une carte des forêts anciennes sur toute la France. L'IGN (cf. site Web) a scanné, géoréférencé et assemblé les 978 minutes couvrant le territoire français de l'époque (la partie orientale de l'ancien Comté de Nice n'est donc pas cartographiée). L'institut met en place actuellement une méthodologie pour uniformiser le géoréférencement et la numérisation des cartes d'Etat Major (cf. le rapport méthodologique).

La carte étant levée au 1/40 000 seulement, les petits objets géographiques comme les petits bois ou les haies n’apparaissent pas systématiquement. Pour connaitre l'ancienneté d'un réseau de haies, il va falloir se tourner vers des plans à plus grande échelle comme les plans terriers, les plans d'intendance ou les plans cadastraux de type napoléonien.

Les anciens plans cadastraux, appelés généralement « cadastre napoléonien », datent du début du 19ème siècle (1807-1850) et sont levés à grande échelle (entre le 1/5 000 et le 1/500). Le cadastre napoléonien se compose d'un plan parcellaire très précis, d'une matrice cadastrale des propriétés bâties et non bâties et d'un état de section décrivant chaque parcelle au moment de son levé et notamment la nature de culture, ce qui permet de reconstituer l'usage des sols. Du fait de la vocation fiscale de ce plan, certaines occupations du sol comme les haies, ne sont pas systématiquement représentées : la haie n'ayant pas vocation à délimiter la propriété, sa représentation n'est alors pas considérée comme prioritaire. On peut aussi avoir recours à des plans plus anciens, comme les plans terriers, levés aux 16ème-18ème siècle pour délimiter les seigneuries et les plans d’intendance, levés au 18ème siècle dans certaines généralités. Mais ces documents sont moins nombreux et ne couvrent pas tout le territoire.

Enfin l'occupation du sol au début du 20ème siècle peut être obtenue grâce à des photographies aériennes en noir et blanc réalisées par l'IGN (les premières datent de 1937). Afin d'obtenir un géoréférencement optimal, l'orthorectification est recommandée, notamment dans les zones où le relief est important. L'orthorectification nécessite, en plus d'un fond de référence déjà calé, un MNT (Modèle Numérique de Terrain) et les paramètres de la prise de vue (hauteur de vol, marque de la caméra…). La photographie aérienne a pour avantage de fixer l'occupation réelle du sol à un instant t, sans filtre éventuel du cartographe, mais la qualité des images (nuages, résolution…) et la date de la prise de vue sont des limites à ne pas oublier.


Quand la carte d'Etat-Major a-t-elle été réalisée ? Comment trouver la date des levés de l'occupation ancienne du sol pour une zone particulière ?


Carte des dates de levés. Télécharger l'image ou la couche vectorielle.



Il est important, quand on utilise la carte d'Etat-Major comme référence ancienne d'occupation du sol, de connaître avec précision la date des levés de la zone que l'on étudie. On trouve de multiples dates pour une même feuille de la carte d'Etat-Major : date des levés géodésiques, des levés topographiques, du dessin, de la gravure ou de la publication. Les levés géodésiques correspondent à la détermination des latitudes et longitudes, par triangulation, des principaux points de repère de la carte. Les levés topographiques comprennent la détermination des altitudes ("nivellement") et, ce qui nous intéresse ici, le dessin de l'occupation du sol, sous forme de surfaces (forêts, agriculture, urbain...) ou de lignes (réseaux viaires et hydrologiques), le dessin des limites administratives ou le recueil de la toponymie. C'est cette date des levés, et non celle de la publication de la carte, qui permet de quantifier l'ancienneté de l'occupation du sol. Dans le Massif Central, pour les feuilles de Figeac, Mauriac et Tulle, par exemple, il y a eu 19 à 21 ans d'écart entre le début des levés et la publication finale des feuilles, en 1863. La publication de la feuille de St-Jean-de-Maurienne, dont les levés avaient démarré en 1843, a été retardée jusqu'après le rattachement de la Savoie, et n'est intervenue qu'en 1877, 34 ans plus tard ! La carte ci-dessus et le tableau associé permettent de retrouver ces dates de levés pour chacune des feuilles de la carte d'Etat-Major.

La plupart des feuilles (81%) ont été levées en une ou deux années seulement. Le Duché de Savoie et le Comté de Nice n'ayant été rattachés à la France qu'en 1860, ces zones sont, avec la Corse, parmi les dernières à avoir été cartographiées. Les feuilles qui étaient situées à cheval sur l'ancienne frontière de la France, antérieure à 1860, ont été complétées à partir de cette date. Elles sont donc hétérogènes, avec un écart pouvant aller jusqu'à 28 ans, à la frontière de la Savoie, entre les premiers et les derniers levés topographiques au sein d'une même feuille. La carte ci-dessus représente la date moyenne des levés de chaque feuille et la table associée indique toutes les dates de levés connues, en plus de cette date moyenne.

Les travaux topographiques ont commencé en 1818, par les feuilles de Paris et Melun, et se sont poursuivis jusqu'en 1866, en Corse. Il y a une forte structuration spatiale de l'avancement des travaux : vers les frontières du nord et de l'est entre 1818 et 1832, puis vers le sud-ouest et la Bretagne, jusqu'au milieu des années 1850, vers le sud-est enfin, en terminant par les Alpes puis la Corse. Cet ordre correspond à des priorités d'ordre militaire. La figure ci-dessous indique le rythme d'avancement des travaux. Le travail topographique s'est surtout concentré sur 20 années, entre 1832 et 1852, pendant lesquelles les trois quarts de la France ont été levés. La date moyenne des levés, pondérée par les surfaces levées annuellement, est 1843 et la date médiane 1842.


Carte des dates de levés.


Les dates fournies ici concernent l'ensemble d'une feuille des minutes de la carte d'Etat-Major (32 x 20 km). Si l'on veut connaître plus précisément la date des levés pour un site particulier, il faut télécharger la feuille correspondante sur le Géoportail de l'IGN, puis rechercher la date des levés de chaque zone dans le cartouche qui accompagne en général les minutes, sur leur côté gauche :


Carte des dates de levés. Feuille 7NE (Arras). Le cartouche indique la délimitation précise des zones levées en 1826 ou en 1832, et le nom des ingénieurs géographes ayant réalisé ces levés.


Références citées

  • Favre, C., Grel, A., Granier, E., Cosserat-Mangeot, R., Bachacou, J. & Dupouey, J.L. 2013. Digitalisation des cartes anciennes. Manuel pour la vectorisation de l’usage des sols et le géoréférencement des minutes 1:40000 de la carte d’Etat-Major (v. 12.7.3). In, pp. 54. INRA.
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