Modélisation intégrée, évaluation des risques climatiques et des politiques de précaution
Modélisation intégrée, évaluation des risques climatiques et des politiques de précaution
La finalité de ce programme était d’améliorer d’une part la représentation des phénomènes naturels au sein des modèles intégrés d’évaluation des politiques climatiques et d’autre part de préciser les problèmes méthodologiques posés par le traitement des dommages. Cet effort de recherche s’est logiquement accompagné d’une réflexion sur les architectures de modélisation disponibles pour le couplage de modèles climatiques et économiques.
Une première composante de ce programme s’appuie sur un modèle de contrôle optimal traitant de manière symétrique les activités de réduction des émissions de GES, de prévention de la déforestation et de séquestration de carbone dans la biomasse. Nos travaux ont débouché sur deux acquis originaux :
a) un modèle du cycle du carbone dont la partie terrestre fait explicitement apparaître les changements de surface et les dynamiques naturelles des biomes considérés, pour les quatre régions des scénarios SRES. La partie terrestre du cycle comprend deux biomes, forestier et agricole, en état de climax et des surfaces perturbées, en transition entre ces biomes à la suite d’un changement d’affectation des terres: plantation ou déforestation. Les biomes, à l’intérieur d’une région donnée, sont divisés par régime climatique et biologique: tempéré, tropical, boréal.
b) un modèle d’évolution de la température globale, pour étudier la réponse du climat à court-terme (2020-2050). Deux variables sont retenues : température moyenne sur les continents et température moyenne à la surface de l’océan. Le développement de ce module de température était nécessaire pour étudier les politiques climatiques optimales en présence de contraintes à la fois sur la hausse admissible de la température et sur son rythme d’évolution au lieu du seul niveau de concentration. Tout en s’en tenant à une approche coût-efficacité, la prise en compte de ces deux contraintes présente l’avantage de donner une valorisation implicite des dommages en termes de corridor climatique en la reliant aux études d’impacts disponibles, qui font référence à une température moyenne globale, tout en rajoutant l’effet du rythme du changement climatique, ce que les fonctions de dommages couramment utilisées ne font pas.
Un premier résultat souligne l’importance de la prise en compte des rétroactions entre émissions de CO2, changement d’affectation des terres et cycle du carbone puisque cette prise en compte conduit à augmenter de 20 à 80 ppm en 2100 les concentrations issues des scénarios SRES, ce qui accroît d’autant l’effort d’abattement à effectuer pour respecter un niveau de concentration et renforce la nécessité de freiner la déforestation et de renforcer la séquestration dans la biomasse.
Un second résultat met en évidence l’importance de l’incertitude sur la sensibilité du climat. On montre en effet que la prise en compte de cette incertitude revient à considérer des objectifs ambitieux de réduction des émissions tant que la valeur de ce paramètre reste inconnue car elle domine les autres incertitudes. Cette incertitude accroît la valeur de l’information sur la dynamique du climat puisque symétriquement elle induit un regret économique considérable s’il s’avère in fine que sa valeur est basse. Notons d’ailleurs que la valeur de l’information explose à partir de 2040.
Une deuxième composante de nos travaux a porté sur l’évaluation des dommages de manière directe et non plus via des contraintes globales. Nous nous sommes spécifiquement intéressés aux non-linéarités du changement climatique : le caractère non-linéaire de certains dommages (interruption de la circulation thermohaline) est représenté dans DIAM au moyen d’une fonction de dommages à seuil, l’incertitude portant ici à la fois sur le niveau de dommages et sur la valeur du seuil.
Un premier ensemble de résultats souligne l’importance de l’introduction de seuils et de l’incertitude qui les affecte : la perspective d’une perte de consommation relativement faible (4%), mais suffisamment proche et concentrée dans le temps, peut justifier des efforts de réduction sensibles à court terme, efforts qui ne sont pas justifiés pas avec des fonctions régulières. Il importe par ailleurs de notre que la stratégie optimale est davantage sensible à la position du seuil qu’à l’amplitude du saut dans la fonction de dommages.
Comme les non-linéarités dans les dommages peuvent se produire non seulement à l’échelle globale mais aussi à l’échelle régionale (par exemple celles mises en évidence en étudiant la sensibilité de la production agricole régionale à différents degrés de changement climatique avec le modèle IMAGE), nous nous sommes concentrés sur les problèmes liés à l’agrégation des estimations régionalisées des impacts. Nous avons montré que ce calcul masque complètement les chocs potentiels dans les régions les plus vulnérables, qui sont souvent parmi les plus pauvres et pèsent donc peu de poids au regard du revenu mondial. Par ailleurs, la procédure d’agrégation telle qu’elle est pratiquée actuellement suppose l’existence de mécanismes de compensation crédibles entre régions et minore ainsi le montant des transferts à opérer. Par exemple, des ruptures très localisées au départ peuvent être largement amplifiées lorsqu’elles mettent en péril les besoins fondamentaux des populations et enclencher des phénomènes de propagation aux économies développées, relativement épargnées par les effets directs du changement climatique.
C’est pourquoi, il est nécessaire de mettre en évidence les marges d’incertitude associées aux évaluations régionalisées des dommages et de les intégrer dans le raisonnement pour éviter la tentation de faire une analyse en termes de régions gagnantes et perdantes, comme c’est le cas dans certains milieux, ce qui ouvre la porte à des controverses sans fin sur l’évaluation des dommages, controverses qui risquent de paralyser tout tentative de coordination internationale.
Les auteurs ont donc dans un premier temps défini un découpage du globe correspondant aux exigences croisées de l’économie et des sciences de l’univers puis proposé une quantification de l’incertitude associée aux estimations régionalisées des dommages.
L’hypothèse de base dans ce travail exploratoire consiste à considérer que les zones où la réponse des modèles climatiques diverge le plus sont également celles où les incertitudes sont les plus importantes.
La définition de ces zones à partir d’une étude statistique de modèles climatiques reconnus (expérience CMIP1) a permis d’établir une régionalisation simplifiée. En utilisant comme mesure de l’incertitude la variabilité de la réponse régionale du climat, nous avons calculé pour chacune des régions les primes de risque associées à des dommages régionaux incertains. Nous avons montré que compte tenu de l’incertitude sur les estimations régionalisées des dommages, l’existence d’aversion au risque des populations exposées au changement climatique pouvaient les conduire à exprimer une prime de risque élevée, en particulier quand elles sont peu développées et très vulnérables (par exemple, l’Afrique et l’Asie du Sud-Est). A l’échelle globale, en revanche, la prise en compte de l’incertitude est beaucoup moins importante que les considérations d’équité qui président à l’agrégation des dommages régionaux.
Il s’agit clairement d’un travail exploratoire et la réflexion sur les paramètres climatiques à retenir pour la construction de fonctions de dommages régionalisées (température moyenne, température extrême, écart des températures, rythme du changement, précipitations…) n’en est qu’à son commencement.
La troisième composante du programme, d’ordre méthodologique, a permis de poser les bases pour incorporer des informations en provenance des modèles climatiques et des études d’impacts dans un cadre intégré et cohérent avec la théorie économique de la décision sous incertitude : expertise et manipulation d’IMAGE, utilisation de la base CMIP, modèle du cycle du Carbone, travail sur l’incertitude sur la sensibilité du climat. Ces bases seront d’autant mieux exploitées qu’une partie de ce programme méthodologique a été consacrée au test d’une technique de couplage entre modèles (TEF- ZOOM), adapté à l’analyse des couplages et rétroactions au sein de systèmes complexes, en vue de développer des modèles simplifiés pour étudier les liens entre processus climatiques et réponses économiques.
Ce programme de recherche, centré sur la modélisation intégrée, a permis, résultat non négligeable, d’organiser le dialogue entre équipes de disciplines différentes ce qui constitue un atout dans la perspective de la constitution actuelle des réseaux d’excellence de modélisation intégrée européens.
Coordinateur(s) |
Jean-Charles Hourcade, CNRS – CIRED |
Partenaire(s) |
IPSL – LSCE |
Financeur(s) |
MEDD
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Budget |
151 382.63 € TTC
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