A l’occasion de la Journée Internationale des Forêts 2021, le GIP Ecofor a interviewé quelques spécialistes issus de son Conseil Scientifique pour vous parler de la restauration des forêts.
Pour cette troisième vidéo, Pierre-Michel Forget, Professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), aborde avec nous le sujet de la restauration forestière et les forêts tropicales.
Pour en savoir plus :
Adoptons, protégeons et restaurons les forêts guyanaises
Texte par Pierre-Michel Forget, Professeur d’Ecologie tropicale, Muséum National d’Histoire Naturelle
Le 27 janvier 2021, Mongabay.com annonce que la « France contributes to protection of Amazon stronghold, Yasuní National Park ». Pendant ce temps-là, la forêt amazonienne continue d’être pillée, vidée, défaunée, polluée, déforestée, brûlée. Des peuples autochtones en provenance d’Asie il y a quelques milliers d’années l’avaient adoptée, exploitée, jardinée, sans la mettre irrémédiablement en danger de disparition, car cela aurait aussi sonné leur extinction. Le département français de la Guyane fait aujourd’hui figure d’exception. Avec un très faible taux de déforestation, la forêt subit cependant une importante dégradation de sa faune et de la qualité de l’eau des fleuves à cause des activités aurifères, légales, voire illégales, sur tout le territoire, en bordure et au cœur des réserves biologiques intégrales, des réserves naturelles, jusque dans le Parc Amazonien.
Il y a 13 ans exactement, à l’issue d’une mission d’inspection sur le projet d’exploitation aurifère de camp caïman (CBJ Cambior) sur la montagne de Kaw, le Président Nicolas Sarkozy avait mis son véto à cette Méga Mine au cœur de la Réserve naturelle Nationale des marais de Kaw-Roura, qui héberge une espèce charismatique du plateau des Guyanes : le Coq de Roche, aujourd’hui l’emblème du Groupe d’Action Locale de l’Est Guyanais. La question ne se pose donc plus de la recevabilité des exploitations minières en Guyane dès lors qu’elles mettent en péril la biodiversité et l’environnement des êtres humains et non-humains, en particulier lorsque l’Etat français a décrété le 8 août 2016 la LOI n° 2016-1087 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages : « I. – Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation… ». C’est bien, mais la France peut mieux faire si elle veut être irréprochable en matière de protection et de conservation de la biodiversité tropicale.
Depuis 2001, les gestionnaires de la nature rêvent d’une coordination trans-frontalière pour la conservation des aires protégées sur le plateau des Guyanes. Hormis une meilleure connaissance de la biodiversité et du fonctionnement de ces écosystèmes forestiers tropicaux, on ne peut réellement pas dire que les collaborations internationales au sein de l’Initiative du Bouclier Guyanais aient été très fructueuses en matière de lutte contre l’orpaillage et la conservation de ces habitats. Les fleuves frontaliers, l’Oyapock et le Maroni, entre la Guyane, le Brésil et le Suriname, isolent toujours un peu plus les forêts les unes des autres, malgré une biodiversité et une diversité ethnique communes, mais des spécificités culturelles et politiques différentes. Patrick Chesnay, responsable de Conservation International au Guyana concluait que « La nature de ces activités d’exploitation minière va de pair avec la destruction de la forêt, de la biodiversité et la pollution des eaux. Nous devons réfléchir à des mécanismes de responsabilité sociale pour ces entreprises ». Nous avons encore du chemin à parcourir en France pour atteindre ces objectifs.
Le 24 décembre 2012, dans une lettre à l’attention du Préfet de Guyane, le botaniste Scott A. Mori (1941-2020) s’inquiétait de l’autorisation d’exploitation accordée à la Société Rexma, à Saül, au centre de la Guyane, une forêt qu’il avait inventoriée pendant 40 ans et devenue une référence internationale. L’extraction de l’or ne se justifiait pas, détruisait les environnements, violait les droits des habitants humains et non-humains de la région, à une eau propre, indispensable pour vivre en bonne santé. Il ne parlait pas encore d’écocide ou de « One Health », mais ces idées étaient là, en gestation. Le projet fut rejeté par le Préfet après qu’un rapport CODERST[1] ait mis en évidence « des insuffisances constatées dans l’évaluation des impacts sur l’environnement ». La forêt du château d’eau du centre de la Guyane était sauve, mais pour combien de temps encore ?
Un nouveau projet aurifère industriel pharaonique pour la Guyane a émergé en 2015. La Compagnie Montagne d’Or (CMO) propose d’exploiter une mine industrielle à ciel ouvert au cœur des deux massifs de la Réserve biologique intégrale de Lucifer Dékou Dékou, créé le 27 juillet 2012. Après l’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, puis la nomination du Ministre de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, le discours officiel évolua, soufflant successivement le chaud et le froid sur les braises refroidies des discours enflammés du jeune ministre de l’économie de 2015 en faveur des MégaMines en Guyane. Le Président annoncera finalement en mai 2019 « l’état de l’art du projet ne le rend pas compatible avec une ambition écologique et en matière de biodiversité« .
Adoptons la forêt amazonienne du plateau des Guyanes, une fois pour toutes, protégeons-la et occupons-nous bien de ses habitants, humains et non-humains, en les préservant de la destruction de leurs milieux de vie, de leur maison. Restaurons la forêt qui a été détruite par plus d’un siècle d’exploitation minière, et arrêtons de nous bercer d’illusions sur les bienfaits économiques et sociaux des MégaMines. La Guyane ne s’enrichira pas avec un regain de ces activités industrielles, même si les cours de l’or atteignent des sommets, fussent-elles irréprochables sur le plan environnemental et social.
Nous dépendons tous de cette forêt-éponge « climatiseur naturel » qui absorbe et rejette l’eau via les multi-couches foliaires de sa canopée, stockant le CO2 dans ses entrailles, le bois. Ce sont ces tissus ligneux qui ont brûlé avec la « canopée » de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Des hommes ont décidé de restaurer et reconstruire l’édifice millénaire. Pourquoi ne pas le faire avec les forêts tropicales? Il y a des exemples de restaurations réussies de la forêt sèche de l’Aire de Conservation de Guanacaste et de la forêt humide de la Péninsule d’Osa au Costa Rica. Même la Mata Atlantica dans la Réserve Pontal do Paranapanema de l’Etat de Sao Paulo a été restaurée. Plutôt que d’exploiter l’or qui dort dans le sous-sol au sein de la Réserve Lucifer Dékou Dékou, et de l’enterrer dans les coffres fort d’autres sous-sols à quelques milliers de kilomètres de là, pourquoi ne pas restaurer la forêt dégradée par un siècle d’orpaillage au sein de l’actuelle réserve ? Les générations futures seront garantes de la survie des forêts Guyano-Amazonienne. C’est possible et envisageable « Quoi qu’il en coûte » pour l’économie, car c’est la survie de l’humanité qui est aujourd’hui en jeu.
Pierre-Michel Forget est Professeur d’écologie tropicale du Muséum national d’Histoire Naturelle, Membre du Comité scientifique du GIP ECOFOR (2020) et Président de la Society for Tropical Ecology. Ancien Président de l’ATBC Association for Tropical Biology and Conservation (2007-2009), et ancien Membre du comité Scientifique de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme. Ancien chargé de mission CNRS Institut Ecologie et Environnement (2012-2015).
[1] Conseil Départemental de l’Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques.